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莫言《白狗秋千架》法文版

作者:莫言    文章来历:本站原创    更新时刻:2015/3/31

莫言《白狗秋千架》法文版

Mo Yan “Le chien blanc et la balançoire”

高密东北乡原产白色驯良1的大狗,连绵2数代之后,很难再会一匹纯种。现在,那儿家家养的多是一些杂狗,偶有一只白色的,也总是在身体的某一部位生出杂毛,显出混血的痕迹来3。但只需这杂毛的面积在整个狗体的面积中占的份额不大4,又不是在特别显眼的部位,咱们也就习气地以“白狗”称之,并不去循名务实5,过分地挑毛病6。有一匹全身皆白7、只黑了两只前爪的白狗,无精打采地从故土小河上那座衰颓8的石桥上走过来时,我正在桥头下的石阶上捧着9清清的河水洗脸。阴历七月末,低洼10的高密东北乡燠热难挨11,我从县城通往城镇的公共轿车里钻出来,汗水已渗透12衣服,脖子和脸上落满了黄黄的尘土。洗完脖子和脸,又很想脱得一丝不挂13跳进河里去,但看到与石桥衔接的褐色14田间路上,远远地有人在走动,也就算了这主意,站起来,用未婚妻赠送的系列手绢中的一条揩着15脸和颈。时刻已过午,太阳略偏西16,一阵阵东南风吹过来。冰爽温文的东南风让人极舒畅,让高粱梢头17悄悄摇晃,飒飒作响18,让一条越走越大的白狗毛儿耸起19,尾巴轻摇。它近了,我看到了它的两个黑爪子。

那条黑爪子白狗走到桥头,停住脚,回头望望土路,又抬起下巴望望我,用那两只污浊20的狗眼。狗眼里的神色悠远荒芜21,含有一种含糊的暗示22,这悠远荒芜的暗示引发内心深处一种迷蒙的感触。

肄业脱离家园后,父母亲也搬家到外省我哥哥处寓居,故土无亲人,我也就不再回来,一晃23便是十年,间隔不短也不长。暑假前,父亲到我任教的学院来看我,说起故土事,不由感慨系之24。他期望我能回去看看,我说作业忙,脱不开身,父亲不以为然地25摇摇头。父亲走了,我心里总觉不安。总算下了决计,切断丝丝缕缕26,回来了。

白狗又回头望褐色的土路,又仰视看我27,狗眼依然污浊。我看着它那两个黑爪子,惊奇地要回想点什么时,它却缩进28鲜红的舌头,对着我叫了两声。接着,它蹲在桥头的石桩上29,跷起一条后腿,习气性地撒尿30。完过后,竟也沿着我下桥头的路,慢慢地挪下来31,站在我身边,尾巴耷拉32进腿间,伸出舌头,一下一下地舔着水。

它好像在等人,显出一副喝水并非由于口渴的消闲33姿态。河水中映出狗脸上那种漠视34的表情,水底的游鱼不断从狗脸上穿过。狗和鱼都不怕我,我确凿地35嗅到狗腥气和鱼腥气36,乃至发生一脚踢它进水中抓鱼的恶劣主意。[..]而这时,狗卷起尾巴,抬起脸,冷冷地瞅我一眼,一步步走上桥头去。我看到它把颈上的毛耸了耸,激动不安地向来路跑去。土路两头是大片的穗子37灰绿的高粱。飘着纯白云朵的小小蓝天,罩着板块相连38的郊野。我走上桥头,拎起旅行袋,想急急过桥去,这儿离我的村庄还有十二里路吧,[...]。正想着,就看到白狗小跑步开路,从路周围的高粱地里,领出一个背着大捆高粱叶子的人来。

我在村庄滚了近二十年,天然知道39这高粱叶子是牛马的上等饲料40,[...]。远远地看着一大捆高粱叶子踉跄地41移过来,心里为之沉重。我很清楚暑天里钻进密不透风的高粱地里打叶子的味道42,汗水遍身胸口发闷是不用说了,最苦的仍是叶子上的细毛与你汗淋淋的皮肤触摸43。我为自己轻松地叹了一口气。逐渐地看清了驮着44高粱叶子曲折着走过来的人。蓝褂子45,黑裤子,乌脚杆子黄胶鞋46,要不是垂着的发,我是不大或许看出她是个女性的,尽管她一呈现就离我很近。她的头与地上平行着47,脖子探出很长。是为了减轻48肩头的苦楚吧?她用一只手按着搭在肩头的背棍的下头,另一只手从颈后绕曩昔,把着背棍的上头49。阳光照着她的颈子上和头皮上亮闪闪的汗水。高粱叶子翠绿、新鲜。她一步步挪着,总算上了桥。桥的宽度跟她背上的草捆差不多,我退到白狗适才50停下记号的桥头石旁站定,看着它和她过桥。

我恍然51觉得白狗和她之间有一条看不见的线,白狗紧一步慢一步地颠着52,这条线也松松紧紧地牵着53。走到我面前时,它又瞥着我54,用那双悠远的狗眼,狗眼里那种含糊的暗示在一瞬间变得反常明晰55,它那两只黑爪子一瞬间撕破了我心头的迷雾56,让我马上想到她,她的低垂的头从我身边滑曩昔,短暂的喘息声57和扑鼻的汗酸永留在我的感觉里。猛地把背上沉重的高粱叶子摔掉,她把身体慢慢舒打开。那一大捆叶子在她死后,差不多齐着她的胸乳。我看到叶子捆与她身体触摸的当地,明显地凹进去,特别着力的部位58,是湿漉漉揉烂了的叶子59。我知道,她身体上揉烂了高粱叶子的那些部位,现在必定十分舒畅;站在漾着60清凉水气的桥头上,让郊野里的风吹拂着,她必定领会到了轻松和满意。轻松、满意,是构成美好的要素61,对此,在逝去的年月里,我是有领会的。

她笔挺腰板后62,暂时地像失去了感觉。脸上的灰垢63显出了汗水的道道。生动的嘴巴张着,吐出一口口长长的气。鼻梁挺秀如一管葱,脸色漆黑,牙齿皎白。

故土出美丽女性,历代都有选进宫殿的。现在也有几个在京城里演电影的,这几个人我见过,也便是那么个样,比她强不了许多。假如她不是破了相,没准儿64早成了大艺人。十几年前,她婷婷65如一枝花,双目皎皎66如星。

“暖。”我喊了一声。 她用左眼盯着我看,眼白上布满血丝,看起来很恶。 “暖,小姑。”我注解性地67又喊了一声。

我本年二十九,她小我两岁,别离十年,改变很大,要不是秋千架上的失误给她留下的残疾68,我不会敢认她。白狗也专心地打量着我,算一算,它竟有十二岁,应该是匹老狗了。我没想到它竟然还活着,看起来还蛮健康69。那年端午节70,它只需篮球般大,父亲从县城里我舅爷家71把它抱来。十二年前,纯种白狗已近绝迹,连这种有小缺点,大致还能够称为白狗的也很难求了。舅爷是以养狗投机的人72,父亲把它抱回来,不会不依仗着老外甥对舅舅放无赖的招数73。在杂种花狗充溢74村庄的时分,父亲抱回来它,引起世人的称羡75,也有出三十块钱高价来买的,当然被婉辞拒绝了76。即便是那时的村庄,在咱们高密东北乡那种荒僻当地77,仍是有不少趣味,养狗当如是解。只需不逢大天灾,一般都能足食,所以狗类得以繁殖78。

NB C’est la première fois qu’apparaît sous la plume de Mo Yan l’expression « 高密东北乡Gāomì dōngběi xiāng » (Gaomi, dans la campagne du nord-est) ; ce sera ensuite le cadre de la plupart de ses romans et nouvelles : les cinq caractères sont associés à son œuvre.

 

01 驯良 wēnxún docile, apprivoisé

02 连绵 miányán s’étendre, se prolonger

03 痕迹 hénjì trace

04 份额 bǐlì proportion

05 循名务实 xúnmíng qiúshí mettre le nom en conformité avec la réalité

06 挑毛病 tiǎo máobìng causer des problèmes, être ennuyeux

07 皆白 jiēbái complètement blanc

08 衰颓 tuíbài en déclin, qui menace ruine

09 捧 pěng tenir, prendre à deux mains / une poignée de …

10低洼 dīwā (endroit) être dans une cuvette, encaissé

11 燠热难挨 yùrè nán’ái d’une chaleur difficile à supporter

12 渗透 jìntòu tremper de

13 一丝不挂 yìsībúguà nu comme un ver

14 褐色 hésé brun

15 用手绢揩 yòng shǒujuàn kāi essuyer avec un mouchoir

16 偏西 piānxī s’orienter, descendre vers l’ouest (soleil)

17 高粱梢头 gāoliang shāotóu l’extrémité des tiges de sorgho

18飒飒作响 sàsà zuòxiǎng (feuilles) bruire, frémir, murmurer

19 耸起 sǒngqǐ se dresser

20 污浊 húnzhuó trouble

21 神色 shénsè expression du regard 悠远荒芜 yáoyuǎn huāngliáng lointain et désolé

22 暗示 ànshì suggérer, laisser deviner, donner à entendre

23 一晃 yíhuàng (temps) passer en un éclair (晃huǎng passer très vite)

24 感慨系之 ɡǎnkǎi xìzhī soupirer profondément 不由 bùyóu ne pouvoir s’empêcher de

25 不以为然 bùyǐwéirán d’un air désapprobateur

26 切断 gēduàn couper, trancher 丝缕sīlǚ fil, fibre

27 仰视 yǎngwàng lever le yeux vers

28 缩进 suōjìn rentrer (舌头 shétou la langue)

29 桥桩 qiáozhuānɡ pile d’un pont

30 撒尿 sāniào uriner

31 挪下来 nuóxiàlái descendre

32 耷拉 dāla baisser, pencher (la tête, ou ici 尾巴wěibɑ la queue)

33 消闲 xiāoxián avoir un moment de libre / dégagé, insouciant

34 漠视 mòrán indifférent

35 确凿 quèzuò irréfutable, incontestable

36 狗腥气/鱼腥气 gǒu xīngqi/yú xīngqi odeur de chien mouillé/ de poisson, de fraîchin

37 穗子 suìzi épi

38 板块相连 bǎnkuài xiānglián plaques reliées, liées entre elles

39 天然知道 zìrán xiǎode comme tout le monde sait (naturellement, sans l’avoir appris)

40 上等饲料 shàngděng sìliào fourrage de qualité supérieure

41 踉跄 pánshān boitiller

42 钻进 zuānjìn pénétrer dans

密不透风 mìbútòufēng tellement dense que le vent ne peut y pénétrer 味道 zīwèi senteur

43 触摸 jiēchù entrer en contact avec

44 驮 tuó porter sur son dos (normalement pour une mule, un cheval)

45 褂子 guàzi blouse courte

46 胶鞋 jiāoxié bottes en caoutchouc ou chaussures à semelles de caoutchouc

47 平行 píngxíng être parallèle

48 减轻 jiǎnqīng réduire, alléger

49 背棍 běigùn bâton sur lequel est attaché le sorgho pour le porter dans le dos

50 适才 shìcái juste maintenant

51 恍然 huǎngrán comme sous le coup d’une illumination subite

52 颠 diān (ici dial.) partir, s’en aller

53 牵 qiān mener (un animal…)/ tirer NB jeu d’allitération sur颠/牵

54 瞥 piē jeter un regard, un coup d’œil à…

55 反常明晰 yìcháng qīngxī inhabituellement clair

56 撕破 sīpò déchirer 迷雾 míwù épais brouillard

57 短暂 duǎncù très bref 喘息 chuǎnxī haleter

58 着力 zhuólì exercer, déployer sa force 部位 bùwèi endroit

59 湿漉漉 shīlùlù humide 揉烂 róulàn être abîmé par le frottement

60 漾 yàng déborder, se répandre

61 要素 yàosù élément clef

62 笔挺腰板 tǐnɡzhí yāobǎn se redresser

63垢 gòu saleté, crasse

64 没准儿 méizhǔnr peut-être

65 婷婷 tíntíng gracieux, souple cœur

66 皎皎 jiǎojiǎo clair et brillant

67 注解 zhùjiě annoter, ajouter un commentaire

小姑 xiǎogū belle-sœur ou tante paternelle – ici terme affectueux

68 残疾 cánjí handicap, difformité

69 蛮 mán ici : très

70 端午节 duānwǔjié la fête des bateaux dragons (5ème jour du 5ème mois lunaire, anniversaire de la mort de Qu Yuan 屈原)

71 舅爷 jiùyé grand-oncle (frère de la grand-mère)

72 投机 móulì faire des profits, gagner de l’argent

73 依仗 yīzhàng compter sur, escompter 外甥 wàishēng neveu

无赖 wúlài éhonté 招数zhāoshù opération stratégique

74 充溢 chōngchì inonder (un marché)

75 称羡 chēngxiàn admiration, envie

76 婉辞 拒绝 wǎnyán huíjué décliner poliment, avec tact

77 荒僻 huāngpì (endroit) désolé, perdu, loin de tout

78 繁殖 fányǎn se multiplier

Traduction I

Une race de grand chien blanc, très docile, est originaire de la région de Gaomi, mon village natal, dans la campagne du nord-est ; après quelques générations, cependant, il est devenu difficile d’en trouver un seul de pure race. Aujourd’hui, on ne trouve plus guère que des bâtards ; même si l’on trouve un chien blanc par le plus grand des hasards, il a toujours quelques poils mélangés, preuve d’une ascendance douteuse. Simplement, la proportion de ces poils par rapport à la totalité n’est pas grande, et, en outre, ils sont dans des endroits où ils ne se remarquent pas. Alors on continue à appeler ces chiens des « chiens blancs », sans faire l’effort de rectifier le terme pour le faire coller à la réalité.

C’est un de ces « chiens blancs », totalement blanc à l’exception du bout des pattes de devant, qui était noir, qui vint passer, la tête basse et l’air triste, sur le pont de pierre complètement délabré qui traverse la rivière de mon pays natal, juste au moment où j’étais descendu m’asperger le visage d’eau claire, par les marches de pierre qui mènent au niveau de l’eau depuis l’entrée du pont. C’était la fin du septième mois du calendrier lunaire et Gaomi, dans son site encaissé, était une fournaise difficilement supportable. Au sortir du car qui m’avait amené du chef lieu du district dans mon vieux village, j’étais trempé de sueur et avais le visage et le cou couverts de poussière ocre. Après m’être lavé le visage et le cou, j’eus envie de me déshabiller complètement pour sauter dans l’eau, mais, en suivant des yeux la route brune qui partait du pont et continuait au milieu des champs, je vis quelqu’un bouger au loin, et abandonnai donc cette idée ; me relevant, je pris un mouchoir dans la collection que m’avait offerte la compagne avec laquelle je vivais, et m’essuyai la figure et le cou. Il était midi passé, le soleil baissait déjà légèrement vers l’ouest, et il soufflait une brise de sud-est, douce et fraîche, qui donnait une impression de bien-être et faisait légèrement osciller le haut des tiges de sorgho, avec un faible bruissement, tout en ébouriffant de plus en plus les poils du chien. Il s’approcha en remuant la queue et je vis alors ses deux pattes noires.

Arrivé à l’entrée du pont, ce chien blanc aux pattes noires s’arrêta pour se retourner et regarder au loin la route de terre, puis tourna vers moi deux yeux au regard trouble, morne et lointain, où se lisait quelque chose de vague, comme une allusion qui fit naître au fond de moi un sentiment indéfinissable.

Après mon départ du village pour poursuivre mes études, mes parents aussi avaient déménagé, pour aller vivre avec mon frère, dans une autre province ; comme il ne me restait plus de proches parents sur place, je n’y étais plus revenu, et dix années passèrent ainsi, d’une traite ; ce n’est pas rien, mais

ce n’est pas tellement long non plus. Juste avant l’été, mon père était venu me voir, à l’école où

j’enseignais ; il me parla du pays, sans pouvoir s’empêcher de soupirer profondément en l’évoquant. Il voulait que j’aille y faire un tour, mais je lui dis que j’avais beaucoup de travail, que je ne pouvais pas partir, alors il avait hoché la tête d’un air désapprobateur. Après son départ, je m’étais senti nerveux, alors finalement, je m’étais décidé et j’étais revenu au village.

Le chien blanc tournait la tête pour regarder au loin la route brune, puis tournait vers moi ses yeux au regard trouble. A la vue de ses deux pattes noires, stupéfait, j’étais sur le point de me plonger dans

d’anciens souvenirs, lorsque, soudain, il rentra sa langue écarlate et me lança deux aboiements. Il leva ensuite une patte de derrière contre l’une des piles de pierre du pont et urina, comme font tous les chiens, après quoi il descendit tranquillement par le chemin que je venais de prendre pour aller jusqu’au bord de l’eau, et vint se planter à mes côtés, la queue basse rentrée entre les pattes de derrière, et sortant la langue pour laper de l’eau.

Nuan arrivant pliant sous sa charge
 

Il semblait attendre quelqu’un, il m’avait tout l’air de celui qui boit sans avoir soif, pour passer le temps. L’eau renvoyait le

reflet d’une sorte d’indifférence sur son visage, devant lequel passaient sans cesse des poissons, remontant du fond de la rivière. Ni le chien ni les poissons n’avaient peur de moi ; je sentais l’odeur caractéristique de fraîchin de l’un et des autres, et nourris un instant l’idée ignoble d’envoyer d’un coup de pied le chien dans l’eau pour qu’il attrape des poissons, …

mais, à ce moment-là, il releva la queue, redressa la tête, me jeta un regard glacial, et remonta pas à pas sur le pont. Les poils du cou tout hérissés, il courut d’un air excité vers la route, dont on pouvait voir les deux côtés entourés de vastes étendues d’épis de sorgho gris verts. Un tout petit bout de ciel bleu, où flottaient quelques nuages d’un blanc très pur, couvrait les plaques ajustées des champs. Je revins à l’entrée du pont, mon sac de voyage en bandoulière, dans l’intention de traverser le pont rapidement, car de là au village il y avait encore six kilomètres. … Mais, juste à ce moment-là, je vis le chien débouler au petit trot sur la route, venant du champ de sorgho à côté et précédant quelqu’un qui portait sur le dos une immense charge de feuilles de sorgho.

J’ai vécu près de vingt ans dans le village ; tout le monde sait que les feuilles de sorgho sont considérées comme du fourrage de qualité supérieure pour les chevaux et le bétail… Voyant cette personne au loin transporter en clopinant cet immense fardeau de feuilles, je me sentis le cœur lourd. Je connaissais parfaitement l’odeur spéciale du sorgho que l’on coupe en plein été, dans ces champs si denses que le vent n’y pénètre pas, et l’impression indicible de suffoquer, totalement trempé de sueur ; mais le plus dur, dans tout cela, ce sont les poils très fins sur les feuilles, qui se collent à la peau dégoulinante de transpiration. Je poussai un léger soupir, pour moi-même. Peu à peu, le personnage qui avançait courbé sous sa charge de feuilles se distinguait de mieux en mieux. Blouse bleue, pantalon noir, chaussures de toile de l’armée ; s’il n’y avait eu les cheveux, longs, il aurait été bien difficile de dire que c’était une femme. Et pourtant, elle était maintenant tout près. Elle avançait la tête parallèle au sol, le cou très allongé. Etait-ce pour rendre son fardeau moins pénible à porter ? [suit la description de la femme s’aidant des deux mains à soutenir sa charge, éclairée par le soleil, et avançant pas à pas] Enfin, elle monta sur le pont, mais il était juste assez large pour laisser passer la charge d’herbe. Je reculai donc jusqu’au chien blanc qui s’était justement arrêté à l’entrée du pont, et la suivis des yeux.

Il me semblait confusément qu’il y avait comme un lien invisible entre elle et le chien, un lien qui se tendait et se relâchait suivant que le chien blanc pressait le pas ou ralentissait. Lorsqu’il arriva devant moi, le chien me lança à nouveau un bref regard, de ses yeux brumeux, mais la vague allusion

qu’on pouvait y lire se fit soudain d’une clarté limpide, les griffes de ses deux pattes noires déchirant l’épais brouillard qui me voilait

l’esprit, et m’incitant à penser à elle, elle qui, tête baissée, venait de me frôler en passant,
 

Avec Lin Jinhe sur le pont

me laissant, gravé au fond du cœur, le halètement de son souffle court et l’odeur forte de sa transpiration.

Déposant d’un brusque mouvement le lourd fardeau de feuilles de sorgho, elle détendit lentement son corps. Derrière elle, le tas de feuilles lui arrivait pratiquement à la hauteur de la poitrine. A l’endroit où il était en contact avec le corps, il y avait un creux, la force du frottement ajouté à la sueur ayant abîmé les feuilles. Je savais le plaisir qu’elle devait ressentir à soulager cette pression, debout, là, au bout du pont, enveloppée de la fraîcheur qui émanait de l’eau, et caressée par le vent qui soufflait sur les champs ; elle devait sûrement se sentir contente et détendue. Détente, contentement, la vie m’a appris que ce sont les éléments clefs du bonheur.

Redressée, elle sembla un instant avoir perdu conscience. Sur son visage, la sueur, en coulant, avait dessiné des traînées grises. Ouvrant largement la bouche, elle cracha plusieurs fois. Elle avait l’arête du nez droite et fine comme un brin d’herbe, la peau très sombre et les dents d’un blanc éclatant.

Les filles sont très belles, à Gaomi ; autrefois, beaucoup sont entrées dans le gynécée impérial. De nos jours, j’en ai vu quelques unes qui sont devenues des actrices de cinéma, dans la capitale, et si je les compare à elle, la différence n’est pas si grande que cela. Si elle ne s’était pas abîmé le visage, elle aurait certainement pu devenir une grande actrice. Il y a une dizaine d’années, elle avait la grâce d’un rameau de fleur, et les yeux brillants comme deux astres.

« Nuan », criai-je. Elle darda sur moi un œil gauche injecté de sang, d’un air mauvais. « Nuan, petite tante (1) » complétai-je en criant à nouveau.

La balançoire
 

J’avais vingt neuf ans, elle deux de moins, mais, après dix ans de séparation, elle avait tellement changé que, sans la blessure laissée par l’accident de la balançoire, je ne l’aurais pas reconnue. Le chien blanc lui aussi

m’observait fixement ; si je comptais bien, il devait avoir douze ans, c’était assurément un vieux chien. Je n’aurais jamais pensé qu’il pût être encore vivant, mais il avait l’air en pleine forme. Cette année-là, pour la fête des bateaux-dragons (2), il n’était pas plus grand qu’un ballon de basket, quand mon père

l’avait rapporté du chef lieu du district, de chez mon grand-oncle. Il y a douze ans, les chiens blancs de pure race avaient déjà pratiquement disparu, rares étaient même les chiens n’ayant qu’une infime trace de croisement, dignes de s’appeler encore des ‘chiens blancs’. Mon grand-oncle avait un élevage de chiens, et en faisait commerce [suit la description de l’achat, l’oncle refusant « avec tact » les trente yuans offerts]. A cette époque-là, dans notre coin perdu de Gaomi, dans la campagne du

nord-est, iln’y avait pas beaucoup de distractions, élever des chiens était une joie ; hormis les années de catastrophes naturelles (2), il y avait de quoi les nourrir, alors les chiens se multipliaient.

(1) Je laisse la traduction littérale, bien qu’elle passe difficilement en français, parce qu’elle a un sens dans le contexte (explications dans la 2ème partie). C’est un exemple des difficultés de traduction d’un texte de ce genre : on ne peut pas escamoter le terme sans changer aussi les explications qui en sont ensuite données.

(2) Voir vocabulaire n. 70.

(3) Euphémisme pour les années de famine consécutives au Grand Bond en avant, allusion constante dans l’œuvre de Mo Yan.

我十九岁,暖十七岁那一年,白狗四个月的时分,一队队解放军,一辆辆军车,从北边过来,川流不息1过石桥。咱们中学在桥头周围扎起席棚2给解放军烧茶水,学生宣传队3在席棚边上敲锣打鼓4,歌唱跳舞。[桥很窄,第一辆大卡车悬着半边轮子,小心谨慎5开曩昔了。第二辆的后轮压断了一块桥石,翻到了河里,车上载的锅碗瓢盆砸碎了不少,满河里漂着油花子。一群兵士跳下河,把司机从驾驭楼里6拖出来,水淋淋地抬到岸上。几个穿白大褂7的武士围上去。一个戴白手套的人,手举着耳机子,大声地叫喊。]我和暖是宣传队的主干8,忘了歌唱鼓噪4,直着眼看热烈。后来,过来几个很大的首长,跟咱们校园里的贫下中农9代表郭麻子大爷10握手,跟咱们校革委会刘主任握手,戴好手套,又对着咱们挥挥手,然后,一溜儿11站在那儿,看着部队持续过河。郭麻子大爷让我吹笛,刘主任让暖歌唱。暖问:“唱什么?”刘主任说:“唱《看到你们格外亲》12。”所以,就吹就唱。[兵士们一行行踏着桥过河,轿车一辆辆涉水过河。(小河里的水呀清悠悠13,庄稼盖满了沟)车头激起洁白的浪花14,车后留下黄色的浊流15。(解放军进山来,协助咱们闹秋收)大卡车过完后,两辆小吉普车16也目瞪口呆17下了河。一辆飞速过河,溅起18五六米高的雪浪花;一辆一头钻进水里,嗡嗡怪叫着被淹死了19,从河水中冒出一股青烟。(拉起了家常话20,多少往事涌上心头)“糟糕!”一个首长说。另一个首长说:“他妈的白痴!让王山公派人把车抬上去。”(吃的是一锅饭,点的是一灯油)很快的就有几十个解放军在河水中推那辆撒了气21的吉普车,解放军都是穿戴戎衣下了河,河水仅仅没膝22,但他们都湿到胸口,湿后变深了色彩的军衣紧贴在身上,显出了肥的瘦的腿和臀。(你们是俺们23的亲骨血,你们是俺们的交心人24)那几个穿白大褂的人把那个水淋淋的司机抬上一辆涂着红十字的轿车。(党的恩惠25说不尽,见到你们总觉得格外亲)首长们转过身来,看姿态预备过桥去,我拎着笛子,暖张着口,怔怔地26看着首长。]一个戴着黑边眼镜的首长对着咱们点点头,说:“唱得不错,吹得也不错。”郭麻子大爷说:“首长们辛苦了。孩子们胡吹瞎咧咧27,别见笑。”他摸出一包烟,拆开,很恭敬地敬曩昔,首长们谦让地谢绝了。一辆轱辘28许多的车停在河彼岸,几个兵士跳上去,扔下几盘粗大的钢丝绳和一些白色的木棒29。戴黑边眼镜的首长对身边一个年青帅气30的军官说:“蔡队长31,你们宣传队送一些乐器呀之类的给他们。”部队过了河,涣散到各村去。师部32住在咱们村。那些日子就像春节相同,全村人都激动。从我家厢房里33扯出了几十根电话线,伸展到五湖四海34去。帅气的蔡队长带着一群吹拉弹唱35的文艺兵住在暖家。我天天去玩,和蔡队长混得很熟。蔡队长让暖歌唱给他听。他是个巨大的青年,头发疏松着36,眉毛高挑着。暖歌唱时,他低着头拼命抽烟,我看到他的耳朵悄悄地抖动着。他说暖条件不错,很不错,惋惜缺少名师辅导。他说我也很有发展前途。他很喜欢我家那只黑爪子小白狗,父亲知道后,马上要送给他,他没要。部队要开拔37那天,我爹和暖的爹一块来了,央求38蔡队长把我和暖带走。蔡队长说,回去跟首长报告一下39,年末征兵时40就把咱们征去。临别时,蔡队长送我一本《笛子演奏法》,送暖一本《怎样演唱革新歌曲》。

“小姑”41,我发窘地说42,“你不认识我了吗?”[咱们村是杂姓庄子43,张王李杜,五湖四海凑起来的44,各种辈分的摆放45,有点杂乱无章。...]我称暖为小姑是从小惯成的叫法,并无一点血缘骨血的情分在内。十几年前,当把“暖”与“小姑””含糊着46乱叫一通时,是别有一番味道在心头的。这一别十年,都老大不小,虽仍是那样叫着,但现已无味道了。

“小姑,莫非你真的不认识我了吗?”说完这句话,我马上斥责了自己的愚钝47。她的脸上,早已是苍凉48的风光了。汗水依然浸洇着49,将一绺50干燥的头发粘到腮边。漆黑的脸上透出灰白来。左眼里有亮堂的水光闪耀51。右边没有眼,没有泪,深深凹进去的眼眶里,栽着一排乱纷纷的黑睫毛52。我的心拳拳着,真实不忍看那洼陷53,便成心把目光散了,瞄着她含蓄的眉毛54和在半响阳光下因汗湿而闪亮的头发。她左腮上的肌肉联动着眼眶的睫毛和眶上的眉毛,悄悄地抽搐着55,形成了一种苍凉乖僻的表情。他人看见她不会动心,我看见她无法不动心……十几年前的那个晚上,我跑到你家对你说:“小姑,打秋千的人都散了,走,咱们去打个爽快。”你说:“我打盹呢。56”我说:“别拿一把啦!寒食节57过了八天啦,队里明日就要拆秋千架用木头。今早晨把势对队长嘟哝58,嫌59把大车绳当秋千绳用,都快磨断了。”你打了一个欠伸,说:‘那就去吧。“白狗长成一个半大狗了,细筋细骨,比小时分丑陋。它跟在咱们死后,月亮照着它的毛,它的毛闪耀银光,秋千架竖在场院边上,[...]默立60在月光下,阴沉沉,像个鬼门关61。架后不远是场院沟,沟里生着连绵不断的刺槐树丛62,尖尖又坚固的刺针上,挑着青灰色的月亮。

“我坐着,你荡我。“你说。 “我把你荡到天上去。” “带上白狗。”“你别想花花点子了。63”你把白狗叫过来,你说:“白狗,让你也恣悠恣悠。64”

你一只手扶住绳子,一只手揽住65白狗,它冤枉地嘤嘤着66。我站在踏板上,用双腿夹住67你和狗,一下一下用力,秋千逐渐有了惯性68。咱们逐渐升高,月光动乱如水69,耳边习习生风,我有点儿头晕70。你格格地笑着71,白狗呜呜地叫着72..。我眼前替换73呈现郊野和河流,房子和坟丘74,冷风拂面来,冷风拂面去。我垂头看着你的眼睛,问:“小姑,好不好?”你说:“好,上了天啦。”绳子断了。我落在秋千架下,你和白狗飞到刺槐丛中去,一根槐针扎进了你的右眼。白狗从树丛中钻出来,在秋千架下醉酒般地转着圈,秋千把它晃晕了……“这些年…过得还不错吧?”我嗫嚅着75。

01川流不息 luòyì bùjué se suivre sans discontinuer

02 扎起 zāqǐ nouer, lier 席棚xípéng abri, cabane de nattes

03 宣传队 xuānchuánduì équipe de propagande

04 敲锣打鼓 qiāoluó dǎgǔ battre des gongs et des tambours = 鼓噪 gǔzào

05小心谨慎 xiǎoxīn yìyì très prudemment, avec infiniment de précautions

06 驾驭楼 jiàshǐ lóu cabine du conducteur

07 白大褂 báidàguà blouse blanche (de personnel médical)

08 主干 gǔgàn cheville ouvrière, élément principal

09 贫下中农 pínxiàzhōnɡnónɡ paysans pauvres et moyens-pauvres

10 郭麻子大爷Guō Mázi dàyè le père Guo Mazi (麻子mázi surnom courant qui suggère un visage grêlé, marqué par la petite vérole)

11 一溜儿 yíliùr ici (dial.) : un instant

12 《看到你们格外亲》kàndào nǐmén géwài qīn : nous vous considérons comme particulièrement proches, comme nos parents - Chanson révolutionnaire à la gloire de l’armée de libération :

Dans les lignes qui suivent, les passages entre parenthèses sont les paroles de la chanson.

13 清悠悠 qīngyōuyōu (eau) claire et tranquille, qui coule sans se presser

14 激起浪花 jīqǐ lànghuā soulever de l’écume, des gerbes d’embruns

15 浊流 zhuóliú courant, flot boueux

16 吉普车 jípǔchē jeep

17 目瞪口呆 dāitóudāinǎo l’air idiot

18 溅起 jiànqǐ jaillir, éclabousser

19 淹死 yānsǐ se noyer/être noyé

20 家常 jiācháng les affaires courantes, de la vie de tous les jours

21 撒气 sāqì avoir un pneu crevé

22 没膝 mòxī jusqu’aux genoux

23 俺 àn (dial.) je, moi

24 交心 人 tiēxīnrén intime, âme sœur

25 恩惠 ēnqíng grande bonté, bienveillance

26 怔怔 地 zhèngzhèngde le regard fixe

27 胡吹 húchuī se vanter 瞎咧咧xiā liěliě dire n’importe quoi

28 轱辘 gūlu (pop) roue

29 木棒 mùbàng barre de bois

30 帅气 yīngjùn talentueux, brillant/ beau, qui a de l’allure

31蔡队长 Cài duìzhǎng le capitaine Cai

32 师部 shībù quartier général de division

33 厢房 xiāngfáng aile (d’un bâtiment - pièces latérales d’une cour d’habitation)

34 五湖四海 sìmiànbāfānɡ de tous côtés, dans toutes les directions

35 吹拉弹唱 chuī lā tán chàng représente trois sortes de musiciens (jouant des instrument à vent, à cordes frottées et pincées) plus les chanteurs

36 疏松 péngsōng échevelé, ébouriffé

37 开拔 kāibá se mettre en route, partir (troupes, expédition, etc…)
 

aile

38 央求 yāngqiú implorer, supplier

39 报告 huìbào faire un rapport

40 征兵 zhēngbīng recruter, lever des troupes

41小姑 xiǎogū soit belle sœur (jeune sœur du mari), soit tante paternelle

42 发窘 地 fājiǒngde avec un certain embarras

43 杂姓庄子 záxìng zhuāngzi hameau comprenant des familles aux patronymes divers :

张 Zhāng,王 Wáng,李 Lǐ,et杜 Dù

44 凑起来 còuqǐlái rassembler, réunir

45 辈分的摆放 bèifènde páiliè ordre d’ancienneté, ordre hiérarchique

46 含糊 hánhùn ambigu, difficile à comprendre

47 斥责 qiǎnzé condamner 愚钝 chídùn lent, obtus

48 苍凉 qīliáng désolé, morne

49 浸洇 jìnyīn être imprégné, saturé de (sueur, …)

50 一绺(头发) yíliǔ (tóufa) une mèche (de cheveux)

51 闪耀 shǎnshuò scintiller

52 睫毛 jiémáo cils

53 洼陷 āoxiàn creux, vide

54 瞄 miáo fixer (son regard sur) 含蓄 wéiwǎn plein de tact

55 抽搐 chōuchù se crisper, avoir un tic

56 打盹 dǎdǔn (pop) faire un somme, sommeiller

57 寒食节 Hánshíjié la fête des repas froids, fêtée pendant trois jours à partir de la veille de Qingming : selon une légende, pendant la période des Royaumes combattants, le prince de Jin, en fuite, dut sa survie à son fidèle serviteur Jiè Zǐtuī (介子推) qui se trancha un morceau de cuisse pour le nourrir. Après avoir accédé enfin au trône et être devenu le duc Wen de Jin (晋文公), le prince oublia son serviteur pendant longtemps ; lorsqu’il le fit finalement rechercher pour l’honorer, Jie Zitui s’était réfugié dans la montagne pour éviter les hypocrisies de la cour. Alors le duc ordonna de mettre le feu à la montagne pour l’en faire sortir, mais Jie Zitui préféra mourir dans les flammes. Pris de remords, le duc ordonna alors de ne pas allumer de feu pendant trois jours…

58 把势 bǎshi ouvrier qualifié 嘟哝 dūnong marmonner, murmurer

59 嫌 xián avoir des soupçons

60默立 mòlì se tenir, rester silencieux

61 鬼门关 guǐménguān entrée, porte de l’enfer

62 连绵不断 miángènbúduàn une chaîne ininterrompue

刺槐树丛 cìhuái shùcóng des bosquets d’acacias

63 想花花点子 xiǎng huāhuādǎnzi avoir diverses idées fantastiques

64 恣悠 zìyōu se balancer librement, à loisir

65 扶住 fúzhù agripper, tenir fermement 揽住 lǎnzhù serrer dans ses bras

66 冤枉 wěiqu être victime d’un mauvais traitement (injuste) 嘤嘤yīngyīng gémir

67 夹住 jiàzhù (s’) insérer entre

68 惯性 guànxìng inertie

69 动乱 dòngdàng être instable, agité, mouvementé

70 头晕 tóuyūn avoir la tête qui tourne

71 格格地笑 ɡéɡéde xiào (=咯咯) glousser, ricaner

72 呜呜地叫 wūwūde jiào hurler (chien)

73 替换 jiāotì alterner / tour à tour

74 坟丘 fénqiū tertre funéraire

75 嗫嚅 nièrú parler, dire avec hésitation

Traduction II

Cette année-là, alors je n’avais encore que dix-neuf ans, elle dix-sept, et le chien blanc quatre mois, déferlèrent du nord régiment sur régiment de l’Armée de Libération, dans un interminable défilé de véhicules militaires qui tous, les uns après les autres, franchirent le pont de pierre. Nous, les lycéens, avions assemblé quelques nattes à côté pour faire une cabane où servir du thé aux soldats, la troupe de propagande de l’école animant la scène avec force gongs, tambours, chants et danses.

[Suit la description des problèmes causés par l’exiguïté du pont, à peine assez large pour le convoi : l’un des camions tombe dans la rivière, d’où une immense pagaille]

Nuan et moi, qui étions le fer de lance de la troupe de propagande, absorbés par la contemplation du désordre ambiant, en avons oublié de chanter et de battre du tambour. Alors arrivèrent quelques haut gradés qui, dûment gantés, serrèrent la main du père Guo Mazi, le représentant des paysans moyens et pauvres de notre école, serrèrent la main du chef Liu, le responsable du comité révolutionnaire de

l’école, nous adressèrent, à nous, quelques signes de la main, et restèrent plantés là un moment à regarder les troupes passer. Alors le père Guo Mazi me dit de jouer de la flûte, et le chef Liu dit à Nuan de chanter. Elle lui demanda ce qu’elle devait chanter. Il répondit : « Chante ‘Vous êtes pour nous des parents très chers ’ » (1). Et nous nous mîmes chacun à jouer et à chanter.

[suit la description du passage de l’armée, accompagnée des paroles de la chanson qui forment un parfait écho à la narration et la soulignent d’un effet quelque peu ironique, la chanson étant le reflet idéalisé de la situation chaotique réelle ]

L’un des haut gradés, un qui portait des lunettes à montures noires, nous fit un signe appréciatif de la tête : « Tu ne chantes pas mal, dit-il, et toi, tu ne joues pas mal non plus ». Le père Guo Mazi intervint en disant : « Commandants, vous avez vécu des moments très durs. Ne vous moquez pas de ces enfants, ils jouent et chantent n’importe comment ». Puis ils sortit un paquet de cigarettes et

l’ouvrit pour en offrir respectueusement aux officiers, mais ceux-ci refusèrent poliment. … Le commandant aux lunettes à montures noires dit à un jeune et fringant officier à ses côtés : « Capitaine Cai, dites à votre troupe de propagande de leur donner quelques instruments de musique. » Lorsque le régiment eut franchi le pont, les soldats furent répartis dans différents villages, le quartier général étant établi dans le nôtre. Nous vécûmes dès lors dans une constante excitation, comme si chaque jour était le Nouvel An. A la maison, les soldats tirèrent d’une pièce latérale une dizaine de fils de téléphone qu’ils firent partir dans toutes les directions. Le fringant capitaine Cai, à la tête de sa troupe de musiciens et de chanteurs, fut logé chez Nuan.

J’y allais tous les jours, et finit par bien le connaître. Il faisait chanter Nuan pour l’écouter. Grand, jeune, il avait les cheveux en bataille et les sourcils hauts et fins. Quand il écoutait Nuan chanter, tête baissée, il fumait cigarette sur cigarette, et je voyais ses oreilles frémir légèrement. Il disait que Nuan était vraiment douée, et que c’était dommage qu’elle n’ait pas un bon professeur pour la guider. Il ajoutait que j’avais moi aussi des capacités prometteuses. Il aimait beaucoup notre chien blanc aux pattes noires, et, lorsque mon père l’apprit, il voulut aussitôt lui en faire cadeau, mais il refusa. Le jour où le régiment repartit, mon père et le père de Nuan vinrent implorer le capitaine Cai de nous emmener avec lui ; il répondit qu’il repartait faire son rapport au commandement, mais que, à la fin de l’année, au moment du recrutement, il reviendrait nous chercher. Peu avant son départ, il m’offrit un manuel de flûte, et fit cadeau à Nuan d’une brochure expliquant comment chanter les chants révolutionnaires.

« Petite tante » dis-je d’un air embarrassé, « tu ne me reconnais pas ? » [Mo Yan introduit ici un aparté sur la complexité des liens familiaux, et hiérarchiques, dans le village, où coexistent quatre patronymes différents - voir vocabulaire 43]. Je l’appelais ainsi par habitude, sans qu’il y ait véritablement aucun lien de sang entre nous. Dix ans auparavant, quand j’avais commencé à l’appeler indifféremment Nuan ou de ce terme ambigu de petite tante, cela n’avait aucune connotation affective particulière. Et maintenant, dix ans plus tard, cela n’avait plus aucun sens.

« Petite tante, est-il possible que tu ne me reconnaisses pas ? » lui dis-je, mais regrettai l’instant

d’après d’avoir été aussi insistant. Elle avait une expression morne sur le visage, toujours inondé d’une sueur abondante qui lui collait les cheveux sur les tempes. Malgré sa peau sombre, je la vis blêmir. Son œil gauche embué se mit à scintiller, tandis qu’à droite, elle n’avait ni œil ni larmes, juste une orbite creuse, et profonde, cernée d’une rangée irrégulière de cils noirs. Je sentis mon cœur se contracter ; la vue de cette orbite vide m’était insupportable, et me fit détourner les yeux, pour les porter sur ses sourcils et ses cheveux qui, trempés de sueur, brillaient sous le soleil de la mi-journée. La partie gauche de son visage se crispa imperceptiblement, induisant un léger mouvement des cils autour de l’orbite vide et des sourcils au-dessus, et donnant une impression bizarre, infiniment triste. D’autres, en la voyant ainsi, auraient pu rester indifférent, mais moi, il m’était impossible de ne pas en être ému…..

Ce soir-là, dix ans auparavant, j’avais couru chez toi et t’avais dit : « Les gens qui faisaient de la balançoire sont partis, allons-y, on va s’amuser un peu. » Tu avais dit : « J’ai envie de dormir. » Mais

j’avais répondu : « Ne vas pas te coucher. La fête des ‘repas froids’ (2) est finie depuis huit jours, alors demain, la brigade (3) va démonter la balançoire pour utiliser le bois. Ce matin, des ouvriers qualifiés ont marmonné que la corde de fortune utilisée ne supporterait pas longtemps le frottement et allait se casser. » Tu m’avais alors répliqué avec un bâillement : « D’accord, allons-y. » Le chien blanc, qui était resté assez petit, bien moins joli que quand il était chiot, nous emboîta le pas, son poil brillant prenant des reflets argentés à la lueur de la lune. La balançoire, installée au bord de l’aire de battage, se dressait, silencieuse et sombre sous la lune, comme la porte des enfers. Derrière elle, non loin de là, il y avait un fossé où poussaient en rangs serrés des bouquets de robiniers dont les épines, dures et acérées, se détachaient dans la lumière grisâtre de la lune. (4)

« Je m’assois et tu me pousses, » m’as-tu dit. « Je vais te pousser jusqu’au ciel. » - « Je vais prendre le chien blanc avec moi. » - « C’est bien une de tes idées stupides. » Mais tu as appelé le chien : « « Eh, chien blanc, viens te balancer toi aussi. » D’une main, tu as agrippé la corde, de l’autre tu as serré contre toi le chien qui, inconfortable, se mit à gémir. Je suis monté debout sur la balançoire, en glissant mes pieds des deux côtés de vous deux, le chien et toi, et j’ai mis toutes mes forces à vaincre l’inertie de la balançoire. Comme nous montions de plus en plus haut, dans la lumière de la lune devenue aussi mouvante que de l’eau, le sifflement du vent dans les oreilles, j’avais un peu la tête qui tournait. Toi tu riais, le chien hurlait… Devant moi apparaissait tour à tour l’immensité des champs et le cours de la rivière, alternaient les maisons et les tombes, et la fraîcheur de la brise me caressait au passage. Je baissai la tête vers toi et te demandai : « Ça va, petite tante ? » Et tu me répondis : « Ça va, on s’est envolés jusqu’au ciel. » Alors la corde a cassé. Je suis tombé sous la balançoire, vous deux, le chien et toi, avez volé jusqu’au milieu des robiniers, et une épine t’est rentrée dans l’œil droit. Le chien a émergé des arbres encore tout étourdi par la balançoire, comme s’il avait bu. ….

« Pendant tout ce temps… ça ne s’est pas trop mal passé ? » dis-je en bafouillant.

(1) Voir vocabulaire n. 12.

(2) Voir explications vocabulaire n. 57

(3) Unité de production du système collectivisé dans les campagnes chinoises. Elle était responsable de tous les aspects de la vie quotidienne.

(4) Il y trois répétitions du mot ‘lune’, alternant 月亮/月光/月亮, avec une connotation morbide et menaçante dans les deux derniers cas. Le décor du drame est planté.

我看到她耸起的双肩塌了下来1,脸上严重的肌肉也一瞬间松懈了2。或许是由于生理补偿3或是由于尽力劳动而变得极大的左眼里,忽然射出了冷冰冰的光线,刺得我浑身不自在。

“怎样会错呢?有饭吃,有衣穿,有男人,有孩子,除了缺一只眼,什么都不缺,这不便是‘不错’吗?”她很泼地4说着。

我一时语塞了5,想了半响,竟说:“我留在母校任教了,传闻,就要提我为讲师了……我很想家,不光想家园的人,还想家园的小河、石桥、郊野、郊野里的红高粱、悠闲的空气6、悠扬的鸟啼7……趁着放暑假8,我就回来啦。”“有什么好想的,这破当地。想这破桥?高粱地里像他妈×的蒸笼相同9,快把人蒸熟了。”她说着,沿着漫坡走下桥,站着把那件泛着白碱花10的男式蓝制服褂子脱下来,扔在身边石头上,弯下腰去洗脸洗脖子。[她上身只穿一件肥壮的圆领汗衫,衫上已烂出鳞次栉比11的小洞。它曾经是白色的,现在是灰色的。汗衫扎进裤腰里,一根打着卷的白纱带12束着她的裤子,她再也不看我,撩着13水洗脸洗臂膀。最终,她目中无人地14把汗衫下摆从裤腰里拽出来15,撩起来,掬水13洗胸膛16。汗衫很快就湿了,紧贴在肥壮下垂的乳房上。看着那两个物件17,我很淡地想,这个那个的,也不过是那么回事18。正像乡间孩子们唱的:没成婚是金奶子,结了婚是银奶子,生了孩子是狗奶子16。]我所以问:

“几个孩子了?” “三个。”她拢拢头发19,扯着汗衫抖了抖,又从头塞进裤腰里去。 “不是说只准生一胎吗?20”

“我也没生二胎。”见我不解,她又冷冷地解说,“一胎生了三个,吐噜吐噜21,像下狗相同。”我缺少诚笃地22笑着。她拎起23蓝上衣,在膝盖上鞭打几下24穿到身上去,从下往上扣着扣子。趴在草捆周围的白狗也站起来,振作着毛25,伸着懒腰。

我说:“你可真精干。”“不精干有什么法子?该遭多少罪26都是必定的,想躲也躲不开27。”

“男孩儿女孩儿都有吧?”“满是公的。”“你可真是好福气,多子多福。” “豆腐!”

“这仍是那条狗吧?”“活不了几天啦。”“一晃儿便是十几年。”“再一晃儿就该死啦。”“可不,”我逐渐有些烦恼起来,对坐在草捆周围的白狗说,“这条老狗,还挺能活!”“噢,兴你们活就不兴咱们活?吃米的要活,吃糠的也要活;高档的要活,初级的也要活。””“你怎样成了这样?”我说,“谁是高档?谁是初级?”

“你不就挺高档的吗?大学讲师!”

我面红耳热,讷讷无言28,一时觉得难以忍受这窝囊气29,搜索着尖刻词儿想反讥30,又一想,算了。我提起旅行袋,干瘦地31笑着,说:“我或许住到我八叔家,你有空儿就来吧。”“我嫁到了王家丘子32,你知道吗?”“你不说我不知道。”

“知道不知道的,没有大风光了。”她平平地说,“要是不嫌你小姑人模狗样的,就抽空儿来耍吧,进村探问‘个眼暖’家,没有不知道的。”

“小姑,真想不到成了这样……”“这便是命,人的命,天管定,想入非非不中用。33”她款款地34从桥下上来,站在草捆前说,“行行好吧,帮我把草掀到35肩上。”我心里马上热得不可,勇敢地说:“我帮你背回去吧!”“不敢用!”说着,她在草捆前跪下,把背棍放在肩头,说,“起吧。”

我转到她背面,捉住捆绳,用力上提,借着这股劲儿,她站了起来。

她的身体又曲折起来,为了背着舒适一点儿,她用力地颠了几下背上的草捆,高粱叶子沙沙啦啦地响着。从很低的当地传上来她瓮声瓮气的话:“来耍吧。”

白狗对我吠叫几声,跑到前边去了。我久久地立在桥头上,看着这一大捆高粱叶子在缓慢地往北移动,一向到白狗变成了白点儿,人和草捆变成了比白点儿大的黑点儿,我才回身往南走。

01 塌下来 tāxiàlái s’affaisser

02 松懈 sōngchí relâcher, détendre

03 生理补偿 shēnglǐ bùcháng compensation physique

04 泼地 pōde d’un ton hargneux, agressif

05 语塞 yǔsè être incapable de prononcer un mot

06 悠闲的空气qīngxiánde kōngqì atmosphère détendue

07 悠扬的鸟啼wǎnzhuǎnde niǎotí le chant mélodieux des oiseaux

08 趁着 chènzhe profiter de (d’une occasion)

09 蒸笼 zhēnglóng étuve pour cuisson à la vapeur

10 碱 jiǎn alcali (utilisé pour fabriquer des savons) 泛 fàn flotter/se diffuser

11 鳞次栉比 mìmìmámá dense, serré, rapproché

12 纱带 bēngdài bandage

13 撩 liāo s’asperger (en prenant de l’eau entre les mains : 掬jū)

14 目中无人 pángruòwúrén comme s’il n’y avait personne alentour : sans se soucier des autres

15 拽 zhuài tirer

16 胸膛 xiōngtáng poitrine 奶子nǎizi seins

17 物件 wùjiàn objet, chose

18 不过是 búguòshì juste, seulement 那么回事 nàme huíshì c’est comme cela

19 拢头发 lǒng tóufa se peigner

20 胎 tāi fœtus / grossesse

21 吐噜吐噜 tǔlū tǔlū (onomatopée)

22 缺少诚笃 quēfá chéngshí qui manque d’honnêteté, de sincérité

23 拎起 līnqǐ ramasser (拎līn porter, à la main)

24 鞭打 chōudǎ fouetter, cingler

25 振作 dǒusǒu stimuler / ici : se secouer

26 遭罪 zāozuì souffrir

27 躲开 duǒkāi éviter

28 讷讷无言 nènèwúyán rester coi, sans voix (讷nè être lent, en particulier pour parler)

29 窝囊气 wōnangqì amertume, ressentiment, sentiment profond né d’une injustice

30 尖刻 kèbó acerbe, sarcastique 反讥fǎnjī répliquer

31 干瘦 gānbiě ratatiné, desséché / morne

32 王家丘子 wángjiāqiūzì lieu dit (le tertre de la famille Wang)

32 想入非非 húsīluànxiǎng laisser libre cours à son imagination 不中用 bù zhōngyòng inutile

34 款款 kuǎnkuǎn ici : lentement, tranquillement

35 掀 xiān soulever

Traduction III

Je vis ses épaules s’affaisser et son visage jusque là tendu se relâcher. Par un effet de compensation, ou par suite d’un effort voulu, son œil gauche, soudain, me lança un regard glacial, qui me rendit extrêmement mal à l’aise.

« Comment cela aurait-il pu ne pas aller ? Il y a de quoi manger, de quoi se vêtir, j’ai un mari, des enfants. A part un œil, il ne me manque de rien. On peut dire que « ça va bien », non ? » dit-elle d’un air agressif.

Cela me laissa sans voix, il me fallut un moment pour trouver quelque chose à dire : « J’enseigne maintenant dans mon ancienne université, il paraît qu’on va me proposer un poste de conférencier. … mais je pense souvent au village, non seulement aux gens, mais aussi à la rivière, au pont, aux champs, et au sorgho dans les champs, au calme qui règne là, et au chant mélodieux des oiseaux.… alors, profitant des vacances d’été, je suis revenu. » - « Comment peux-tu trouver agréable de te remémorer tout cela, cet endroit pourri, ce pont délabré ? Les champs de sorgho, quand on est dedans, sont une foutue fournaise, on y cuirait. » En disant cela, elle descendit la pente qui menait en bas du pont ; arrivée là, elle enleva la blouse bleue parsemée de tâches blanches d’alcali qui semblait

un haut d’uniforme d’homme, la jeta sur une pierre, et se baissa pour se laver le visage et le cou.

[cette scène du bain dans la rivière est parallèle à celle de la première partie, mais ici contée sur un mode dérisoire, soulignant les vêtements pleins de trous, une certaine impudeur ainsi que la déchéance physique de la femme].

Je lui demandai alors : « Tu as des enfants ? » - « Trois » dit-elle en se repeignant : puis, tirant son

t-shirt en frémissant, elle l’enfonça à nouveau dans son pantalon. « Mais, tu ne m’avais pas dit que tu n’avais fait qu’une grossesse ? »

« Exactement », dit-elle, puis, voyant que je ne comprenais pas, elle expliqua froidement : « en une seule fois, hop hop hop, j’ai eu une portée de trois, comme une chienne. » J’ai eu un rire mi figue mi raisin. Elle ramassa sa blouse, la tapa deux ou trois fois sur son genou avant de la remettre, puis la reboutonna en partant du bas. Le chien blanc, qui s’était couché près du tas de feuilles, se releva à son tour, en remuant la queue et en s’étirant.

« Tu es vraiment courageuse. » lui dis-je. « Il faut bien, répondit-elle, il n’y a pas le choix. De toute façon, on ne peut pas éviter de souffrir, ça ne sert à rien d’essayer. »

« Et les enfants, garçons et filles ? » - « Ce sont tous les trois des garçons. » - « Tu as de la chance, comme on dit, autant de garçons autant de bonheur. » - « Foutaise ! »

« Et le chien est toujours là ? » - « Oui, mais il n’en a plus pour longtemps. » - « Ces dix années et quelques sont passées comme un éclair. » - « Encore un éclair et c’est nous qui allons y passer. » Elle me fatiguait un peu, je me tournai vers le chien blanc qui s’était assis à côté du tas de feuilles : « ce brave chien, encore bien vivant, hein ? » - « eh alors, si vous vivez, vous, pourquoi est-ce qu’on ne vivrait pas, nous aussi ? Tout le monde a le droit de vivre, ceux qui mangent du pain noir comme ceux qui mangent du pain blanc, le gratin comme les prolos. » - « Comment es-tu devenue comme ça ? Ça veut dire quoi le gratin, ça veut dire quoi les prolos ? » - « Tu n’es pas du gratin, peut-être ? Conférencier, à l’université ! »

Je me sentis rougir jusqu’aux oreilles, et restai sans voix. Sur le moment, j’eus du mal à supporter cette acrimonie, et fus à deux doigts de lui lancer une réplique acerbe, mais je me tus. Je repris mon sac, et lui dis avec un pauvre sourire : « Je serai chez mon oncle, si tu as un peu de temps, tu peux venir me voir. » - « Tu savais que, depuis mon mariage, j’habite à Wangjiaqiuzi (1) ? » - « Tu ne me l’avais pas dit, je ne pouvais pas savoir. » - « De toute façon, ça n’a pas grande importance, dit-elle d’un ton adouci, si tu n’es pas trop rebuté par la tête que j’ai maintenant, quand tu as une minute, tu n’as qu’à venir me voir, tu demandes « Nuan la borgne », tout le monde me connaît. »

« Petite sœur, vraiment, je n’avais aucune idée de ce que tu étais devenue. » - « C’est le destin, chacun a le sien, c’est le ciel qui décide, ce n’est pas la peine d’essayer d’y comprendre quelque chose, » dit-elle en remontant lentement vers le pont.

[elle demande alors au narrateur de l’aider à remettre sa charge de feuilles sur les épaules, puis ils partent, chacun de son côté]

(1) Lieu dit « le tertre de la famille Wang », l’un des quatre patronymes (clans) locaux mentionnés plus haut.

从桥头到王家丘子七里路。 从桥头到咱们村十二里路。

从咱们村到王家丘子十九里路,八叔让我骑车去。我说算了吧,十几里路走着去就行。八叔说:现在富了,自行车家家有,不是前几年啦,全村只需一辆半辆车子,要借也不容易,稀罕1物儿谁不肯借呢。我说我知道富了,看到了自行车满街筒子乱蹿2,但我不想骑车,当了几年常识分子,当出几套痔疮3,仍是走路好。八叔说:念书可见也不是件太好的事,七病八灾不说,人还疯疯癫癫的4。你说你去她家干什么子,瞎的瞎,哑的哑,也不怕村里人笑话你。鱼找鱼,虾找虾,不要低了自己的身份啊!我说八叔我不和您争论5,..心里有数6。八叔悻悻地7忙自己的事去了,不来管我。

我很期望能在桥头上再碰到她和白狗,假如再有那么一大捆高粱叶子,我豁出命去8也要帮她背回家;白狗和她,都会成为或许的导游9,把我引导到她家里去。城里都到了人人重视时装、个个追逐时尚的年代了10;故土的人,却对我的牛仔裤投过鄙夷11的目光,弄得我很难堪12。所以解说:处理货13,三块六毛钱一条——其实我花了二十五块钱。已然廉价,村里的人们也就宽恕了我14。王家丘子的乡民们是不知道我的裤子廉价的,碰不到她和狗,只好进村再问路,不免招人留意。如此想着,就愈加期望碰到她,或许白狗。但究竟落了空15。一过石桥,看到太阳很红地从高粱棵里冒出来,河里躺着一根粗大的红光柱16,艳丽地17染遍了河水。太阳红得有些乖僻,周围好像还环绕着一些黑气,大概是要落雨了吧。

我撑着折叠伞18,在一阵歪斜的疏雨中19进了村。一个仄楞着20膀子的老女性正在横穿大街,风翻动着长大的衣襟21,风使她摇摇晃摆。我收起伞22,拎着,迎上去问路。“大娘,暖家在哪儿住?”她斜斜地站定,困惑地转动着暗淡的眼23。风经过斑白的头发,翻动的衣襟,[...]。“暖家在哪住?”我又问。“哪个暖家?”她问。我只好说“个眼暖家”。老女性阴沉地瞥我一眼,抬起臂膀,指着大街周围一排蓝瓦房。

站在甬道上24我大声喊:“暖姑在家吗?”最先应了我的叫喊的,是那条黑爪子老白狗。 [...]。

我又喊,暖在屋里很脆地容许了一声,出来迎候我的却是一个满腮黄胡子两只黄眼球的剽悍男人25。他用土黄色的眼球子恶狠狠地打量着我,在我那条牛仔裤上停住目光,嘴巴歪歪地撇起26,脸上显出张狂的表情。他向前跨一步——我匆忙退一步——翘起右手的小拇指头27,在我眼前急遽地28晃动着,口里宣布一大串时断时续的音节29。我尽管从八叔的口里知道了暖姑的老公是个哑巴,但见了真人狂状,心里依然马上沉甸甸的30。独眼嫁哑巴,弯刀对着瓢切菜,按说也并不冤枉着哪一个,可我心是依然马上就沉甸甸的。暖姑,那时咱们想得美。蔡队长走了,把很大的期望留给咱们。他走那天,你直视着他,流出的泪水都是给他的。蔡队长脸色灰白,从衣袋里摸出一把牛角小梳子递给你。我也哭了,我说:“蔡队长,咱们等你来招咱们。”蔡队长说:“等着吧。”比及高粱通红了的深秋,传闻县城里有招兵的解放军,咱俩振奋得觉都睡不稳了。校园里有教师进县城就事,咱们托他去人武部探问一下,看看蔡队长来没来。教师去了。教师回来了。教师对咱们说:本年来招兵的解放军一概黄褂蓝裤,空军地勤兵31,不是蔡队长那部分。我绝望了,你充溢信心地对我说:“蔡队长不会骗咱们!”我说:“人家早就把这码事32忘了。”你爹也说:“给你们个木棒33,你们就当了针。他是拿你们当小孩哄怂着玩哩34,好人不从戎,好铁不打钉35,[...]。”你说:“他可没把我当小孩子。他决不能把我当小孩子。”说着,你的脸上浮起淡雅的赤色36。你爹说:“能得你。”我惊诧地37看着你变色的脸,看着你脸上那种模模糊糊的特异38表情,语无伦次地说39:“或许,他本年不来后年来,后年不来大后年来。”蔡队长可真是个仪表堂堂40的美男人啊!他四肢细长41,面部线条冷峭42,胡楂子总刮得青白43。后来,你坦率地44对我说,他在临走前一个晚上,抱着你的头,悄悄地亲了一下。你说他亲完后嗟叹着说45:“小妹妹,你真纯真……”为此我心中有过无名的恼怒。你说:“当了兵,我就嫁给他。”我说:“别做美梦了!倒贴上两百斤猪肉,蔡队长也不会要你。”“他不要我,我再嫁给你。”“我不要!”我大声叫着。你白我一眼46,说:“烧得你不轻!47”现在回想起来,你那时就很有点儿姿态了。你那花蕾般48的胸脯,常常让我心跳。

哑巴明显看不起我,他用翘起的小拇指表明着对我的轻视和憎恨49。我堆起满脸笑,想抢夺他的友谊,他却把双手的指头穿插在一同,弄出很怪的形状,举到我的面前。我从少年年代的恶作剧50中堆集起来的常识里,找到了这种手势的初级下贱51的答案,心里登时发生了手捧癞蛤蟆的感觉52。我乃至都想脱身逃走了,却见三个相同容颜、相同装束53的光头小男孩从屋里滚出来,站在门口用相同的土黄色小眼球瞅着我,头一概往右倾,像三只羽毛未丰54、性情浮躁的小公鸡55。孩子的脸显得很老相,额上都有抬头纹,下腭骨56阔大健壮,全都悄悄地颤抖着。我匆促掏出糖来,对他们说:“请吃糖。”哑巴立即对他们挥挥手,嘴里蹦出几个简略的音节。男孩们眼巴巴地瞅着我手中花花绿绿的糖块,不敢动一动。我想走曩昔,哑巴挡在我面前,霸道地57挥舞着臂膀,口里发着令人发怵的58怪叫。

01 稀罕 xīhan rare

02 筒子 tǒngzì tube 乱蹿 luàncuān sauter de manière désordonnée, dans tous les sens

03 痔疮 zhìchuāng hémorroïdes

04 疯癫 fēngdiān fou, cinglé

05 争论 zhēngzhí se disputer

06心里有数 xīnlǐ yǒushù je sais ce que je veux, j’ai mes propres idées, convictions

07 悻悻 xìngxìng fâché, froissé

08 豁出命去 huōchūmìngqù au péril de sa vie, advienne que pourra

09 导游 xiàngdào guide

10 重视时装 guānzhù shízhuāng être sensible à la mode 追逐时尚zhuīgǎn shímáo suivre la mode

11 鄙夷 bǐyí mépriser

12 难堪 lángbèi dans une situation délicate

13处理货 chǔlǐ huò marchandise au rabais

14 宽恕 yuánliàng pardonner

15 究竟 bìjìng en fait 失利 luòkōng ne pas se réaliser, rater…

16 光柱 guāngzhù rayon de lumière

17 艳丽 xiānyàn vivement coloré

18 撑 chēng ici : ouvrir 折叠zhédié pliant

19 歪斜 qīngxié de travers, oblique 疏雨shūyǔ petite pluie, pluie fine

20 仄楞 zéléng 仄zé terme utilisé pour les tons obliques – d’où oblique, penché

21 衣襟 yījīn pan de robe, de vêtement

22 收起伞 shōuqǐ sǎn replier, refermer un parapluie

23 困惑 kùnhuò confus, troublé 暗淡hūn'àn sombre

24 甬道 yǒngdào passage (allée en général pavée qui mène à une tombe, etc…)

25 剽悍 piāohàn agile et brave, prompt à l’action

26 歪歪 wāiwāi de travers, tordu 撇起piēqǐ (bouche) se tordre en un rictus

27 翘起 qiàoqǐ lever, dresser 小拇指xiǎomuzhǐ pouce

28 急遽 jíjù rapide, soudain

29 时断时续 duànduànxùxù intermittent, décousu 音节yīnjié syllabe

30 沉甸甸 chéndiàndiàn lourd, oppressé

31 空军地勤兵 kōngjūn dìqínbīng équipes à terre (personnel non navigant) de l’armée de l’air

32 这码事 zhèmàshì ce genre de chose, cette histoire

33 木棒 bàngchui battoir

Note : 天津人常说的“木棒”,便是一无所知的意思。侯宝林先生的相声《戏迷》:“内里有我这么一个木棒,全乱套了。”这位戏迷先生,平常总揄扬自己是戏曲专家,仅仅一上台,连龙套怎样走台步都不会,成果闹出了“一边儿一个一边儿仨”的笑话。这类人,外行,关于戏曲一无所知,还假装什么全懂,“木棒”,一个极端形象的比方。

Cette expression de « 木棒 » vient d’un dialogue comique (相声) intitulé « Le fan de théâtre » (《戏迷》).Le personnage de l’histoire est toujours en train de se vanter d’être un expert en matière de théâtre, mais dès qu’il monte sur scène, même dans les rôles où il suffit de marcher, il est incapable de faire les pas comme il faut.

根本意思便是 “过于简略”、“什么也不了解”.“菜鸟”的意思 (novice, débutant)

34 哄怂 hǒngsǒng tromper, abuser de

35好人不从戎,好铁不打钉 expression adverbiale : les gens bien ne sont pas militaires, le bon fer ne sert pas à enfoncer les clous (mais à fabriquer des lances et des épées).

36 淡雅 nóngyàn (couleur) vif, éclatant

37 惊诧 jīngchà être étonné

38 模糊 yǐnyuē délicat, léger 特异 tèyì exceptionnel

39 语无伦次 yǔwúlúncì (paroles, propos) incohérent

40 仪表堂堂 yíbiǎotángtáng en imposer, avoir fière allure

41四肢细长 sìzhī xiūcháng svelte, élancé

42 冷峭 lěngqiào froid, d’expression sévère

43 胡楂子 húcházì poils de barbe mal rasée 刮得青白guāde qīngbái rasé de près

44 坦率 tǎnshuài franc, direct

45 嗟叹 shēnyín murmurer

46 白一眼 bái yíyǎn jeter un regard hautain, méprisant

47烧得不轻 shāode bùqīng avoir pas mal de fièvre

48 花蕾 huālěi bouton de fleur

49 轻视 qīngmiè dédain 憎恨 zēngwù haine

50 恶作剧 èzuòjù mauvaise plaisanterie, mauvais tour

51 初级下贱 dījí xiàliú vulgaire

52 癞蛤蟆 làiháma crapaud 手捧 shǒu pěng tenir à la main

53 装束 zhuāngshù habillement, tenue vestimentaire

54 羽毛未丰 yǔmáowèifēng encore jeune, immature

55 性情浮躁 xìngqíngbàozào avoir un caractère irascible

56下腭骨 xia’è gǔ maxillaire

57 霸道 mánhèng arrogant /péremptoire

58 发怵 (憷) fāchù être mal à l’aise

Résumé IV :

Le narrateur part voir Nuan, et part à pied en dépit des objections de son oncle : d’une part, on ne marche plus à pied depuis qu’on a les moyens de se payer des bicyclettes, voire des voitures ; d’autre part, il met en garde son neveu contre la perte de face que risque d’entraîner une telle visite à des parias sociaux. En quelques lignes sont ainsi esquissés quelques traits de la mentalité paysanne. A quoi s’ajoute la désapprobation vis-à-vis du jean porté par le narrateur...

A son arrivée, il se heurte à l’hostilité initiale du mari de Nuan, « le muet ». Nuan, quant à elle, a fait un peu de toilette, elle a même mis un œil artificiel, mais ses vêtements sont d’une coupe obsolète.

En la voyant, le narrateur se remémore le passé (là où le récit s’était arrêté dans la première partie) : ce qui s’est passé après le départ du capitaine Cai. En fait, il n’est jamais revenu, et Nuan est restée, contre vents et marées, attachée à l’espoir qu’il allait revenir la chercher, parce qu’il avait eu un geste de tendresse envers elle en partant. Pourtant son père lui avait bien rappelé le dicton chinois : les gens bien ne se font pas soldats, comme on ne prend pas du fer de qualité pour enfoncer des clous (好人不从戎,好铁不打钉).

暖把双手交叠在腹部1,步履略有些踉跄地2走出屋来。我很快了解了她迟迟不出屋的原因,洁净的阴丹士林3蓝布褂子,褶儿很挺的灰的确良裤子4,明显都是刚换的。士林蓝布和用士林蓝布缝成的李铁梅式5褂子久不见了,乍一见心中便有一种怀旧的心情怏怏而生。穿这种褂子的胸部丰盛的少妇别有风味6。暖是脖子挺立的女性,脸型也很清雅。她右眼眶里装进了假眼,面部康复了平衡。我的心为她良苦的心感到忧伤,我用低沉调查着人生7,心弦纤细如丝8,明察秋毫9,并天然地颤栗10。不能细看那眼睛,它没有生命,它污浊地闪着磁光11。她发现了我在凝视她,便低了头,绕过哑巴走到我面前,摘下我肩上的挎包12,说:“进屋去吧。”哑巴猛地把她拽开13,怒气冲冲的姿态,眼睛里像要出电。他指指我的裤子,又翘起小拇指,晃动着,嘴里嗷嗷叫着14,五官15都在动作,忽而挤成一撮,忽而大开大裂16,脸上表情生动可怖。最终,他把一口唾沫啐17在地上,用骨节很大的脚踩了踩18。哑巴对我的憎恨看来是与牛仔裤有直接关系的,我懊悔穿这条裤子回故土,我决计回村就找八叔要一条肥腰裤子换上。

“小姑,你看,大哥不认识我。”我为难地说。

她推了哑巴一把,指指我,翘翘大拇指,又指指咱们村庄的方向,指指我的手,指指我口袋里的钢笔和我胸前的校徽19,比画出写字的动作,又比画出一本方方正正的书,又伸出大拇指,指指天空。她脸上的表情五光十色。哑巴稍一愣20,马上消失了全身的矛头21,目光温柔得像个大孩子。他犬吠般地22笑着,张着大嘴,显露一口黄色的板牙。他用手掌拍拍我的心窝23,然后,跺脚24,呼啸,脸憋得25通红。我彻底了解了他的意思,感动得不可26。我为自己赢得了哑兄弟的信赖感到浑身的轻松。那三个男孩子躲躲闪闪地凑上来27,目不斜视地看着我手中的糖。

我说:“来呀!”男孩们抬起眼看着他们的父亲。哑巴嘿嘿一笑,孩子们就灵敏地蹿上来28,把我手中的糖抢走了。为抢夺29掉在地上的一块糖,三颗光脑袋挤在一同攒动着30。哑巴看着他们笑。暖宣布一声悄悄的叹气,她说:

“你什么都看到了,笑话死俺吧31。”“小姑……我怎样敢……他们都很心爱……”

哑巴灵敏地看着我,笑笑,转过身去,用大脚板儿几下子就把厮缠32在一同的三个男孩儿踢开。男孩儿们咻咻地喘着气33,汹汹地34对视着。我摸出一切的糖,均匀地35分红三份,递给他们,哑巴嗷嗷地叫着,对着男孩儿打手势。男孩儿都把手藏到背面去,一步步往撤退。哑巴更响地嗷了一阵,男孩儿便抽搐着脸,每人拿出一块糖,放在父亲关节粗大36的手里,然后呼号一声,消逝得无影无踪。哑巴把三块糖托着,蠢笨地37看了一会,就转瞬对着我,嘴里啊啊手比画着。我不了解,求救地38看着暖。暖说:“他说他早就知道你的台甫,你从北京带来的高档糖,他要吃块尝尝。”我做了一个往嘴里扔食物的姿态。他笑了,细心地剥开糖纸,把糖扔进口里去,嚼着,歪着头,似乎在倾听什么39。他又一次伸出大拇指,我这次彻底了解他是在夸奖40糖的高档了。很快地他又吃了第二块糖。我对暖说,下次回来,必定带些真实的高档糖给大哥吃。暖说:“你还能再来吗?”我说必定来。

哑巴吃完第二块糖,略一想,把手中那块糖递到暖的面前。暖闭眼,“嗷——”哑巴吼了一声。我心里抖着,见他又把手往暖眼前伸,暖闭眼,摇了摇头。“嗷——嗷——”哑巴愤恨地呼啸着,左手抓住暖的头发,往后扯着,使她的脸仰起来,右手把那块糖送到自己嘴边,用牙齿撕掉糖纸,两个手指捏着那块沾着他粘粘口涎的糖41,硬塞进她的嘴里去。她的嘴不算小,但被他那两根小黄瓜42相同的手指比得很小。他漆黑的粗手指派她的双唇显得小巧柔嫩43。在他的大手下,那张脸变得单薄脆弱44。

她含着那块糖,不吐也不嚼,脸上表情平平如死水。哑巴为了自己的成功,对着我满意地笑。

她含糊地说45:“进屋吧,咱们多傻,就这么在风里站着。”我目光巡睃着46宅院,她说:“看什么?那是头大草驴47,又踢又咬,生人不敢近身,在他手里老老实实的。春上他又去买那头牛,才下了犊一个月47。”她家宅院里有个大敞棚48,敞棚里养着驴和牛。牛极瘦,腿下有一头肥滚滚的牛犊在吃奶,它蹬着后腿,摇着尾巴,不时用头碰击母牛的乳房,母牛苦楚地弓起背,眼睛里闪着幽幽的蓝光。

哑巴是海量49,一瓶浓郁的“诸城白干”50,他喝了十分之九,我喝了十分之一。他面不改色,我头晕乎乎。他又开了一瓶酒,为我斟满杯51,双手碰杯过头敬我。我生怕伤了这个朋友的心,便抱着电灯泡捣蒜的决计52,接过酒来干了。怕他再敬,便装出不能支撑的姿态,歪在被子上。他振奋得脸通红,对着暖比画,温暖他对着比画一阵,轻声对我说:“你别和他比,你十个也醉不过他一个。你千万不要喝醉。”他用力盯了我一眼。我翘起大拇指,指指他,翘起小拇指,指指自己。所以撤去酒53,端上饺子来。我说:“小姑,一同吃吧。”暖征得哑巴赞同54,三个男孩儿便爬上炕,挤在一簇,饥不择食55。暖站在炕下,端饭倒水服侍咱们56,让她吃,她说肚子难过,不想吃。

饭后,风停云散,暴虐的日头灼灼地57在正南挂着。暖从柜子里拿出一块黄布,指指三个孩子,对哑巴比画着东北方向。哑巴点点头。暖对我说:“你歇一瞬间吧,我到城镇去给孩子们裁58几件衣服。不要等我,过了晌你就走59。”她狠狠地看我一眼,夹起包袱,一溜风走出宅院,白狗伸着舌头跟在她死后。

01 交叠 在腹部 jiāodié zài fùbù (mains) croiser sur l’estomac, le ventre

02 步履 bùlǚ (litt.) marcher 踉跄liàngqiàng tituber, chanceler

03 阴丹士林 yīndānshìlín indanthrone, sorte de teinture bleue

04 褶(儿) zhě(‘r) pli 的确良 díquèliáng dacron (tissu)

05 李铁梅 Li Tiemei, célèbre personnage d’un des huit « opéras modèles » : La légende de la lanterne rouge (《红灯记》). Orpheline élevée par sa grand-mère, elle décide de se vouer à la cause révolutionnaire pour suivre l’exemple de ses parents qui sont morts en martyrs pour elle. Son style de vêtements était devenu à la mode pendant la Révolution culturelle.

06 丰盛 fēngshuò important, considérable 风味 fēngyùn charme

07 低沉 dīdiào modéré

08 纤细 xiānxì fin

09明察秋毫 míngcháqiūháo distinguer les poils d’automne d’un animal = être extrêmement perceptif

10 颤栗 chànlì trembler

11 磁光 cíguāng éclat magnétique
 

 

Li Tiemei dans l’opéra

12 摘下 zhāixià enlever (chapeau, …) 挎包 kuàbāo sacoche, sac en bandoulière

13 拽开 zhuàikāi écarter (拽zhuài tirer)

14 嗷嗷 áo’áo (onomatopée) cri de douleur, ou cri de certains animaux (oies…)

15 五官 wǔguān cinq organes des sens / traits du visage

16 忽而… 忽而 hū'ér… hū'ér faire une chose puis en faire une autre, opposée ou contradictoire

挤成一撮 jǐchéng yìcuō ramassé, comprimé 大开大裂 dàkāidàliè grand ouvert

17 啐一口唾沫cuì yìkǒu tuòmò cracher un jet de salive

18 踩 cǎi piétiner

19 校徽 xiàohuī écusson de l’école

20 稍一愣 shāoyílèng être légèrement ébahi, stupéfait

21 矛头 fēngmáng pointe, fer de lance

22 犬吠 quǎnfèi aboyer

23 心窝 xīnwō poitrine, cage thoracique

24 跺脚 duòjiǎo trépigner

25 憋 biē suffoquer

26 不可 bùxíng ici : terriblement

27 躲闪 duǒshǎn esquiver, s’écarter (pour éviter) 凑上来còushànglái approcher

28 灵敏 mǐnjié prompt, leste 蹿cuān bondir

29 抢夺 zhēngduó se battre pour

30 攒动 cuándòng se serrer les uns contre les autres

31 笑话死 xiàohuasǐ se moquer de… à en mourir de rire 俺ǎn forme dialectale de 我

32 厮缠 sīchán importuner, embêter (厮sī canaille, gredin)

33 咻咻 xiūxiū bruit sifflant de quelqu’un à bout de souffle (喘气 chuǎn qì)

34 汹汹 xiōngxiōng d’aspect terrible, féroce, menaçant

35 均匀 jūnyún régulier, égal

36 关节 guānjié articulation

37 蠢笨 bènzhuō maladroit / stupide

38 求救 qiúyuán demander de l’aide, des renforts

39 倾听 língtīng écouter attentivement

40 夸奖 kuājiǎng louer, faire l’éloge de

41 粘粘口涎 niánnián kǒuxián salive collante, gluante (粘zhān coller 沾zhān humecter)

42 黄瓜 huángguā concombre

43 小巧柔嫩 línglóng jiāonèn exquis, raffiné et délicat

44 单薄脆弱 dānbó cuìruò frêle et fragile

45 含糊 hánhùn ambigu, équivoque, évasif

46 巡睃 xúnsuō (巡xún faire un tour d’inspection 睃suō regarder de travers)

47 草驴 cǎolǘ ânesse 下犊 xiàdú vêler

48 敞棚 chǎngpéng ici : enclos à bétail

49 海量 hǎiliàng un grand buveur, qui a une grande tolérance à l’alcool

50诸城白干 Zhūchéng báigàn alcool blanc de Zhucheng (ville du Shandong plus célèbre pour ses dinosaures que pour son alcool).

51 斟满杯 zhēnmǎn bēi remplir un verre

52 捣蒜 dǎosuàn piler de l’ail (tout en tenant une ampoule électrique : expression dialectale pour exprimer une ferme décision que rien ne peut changer)

53 撤 chè enlever, emporter

54 征 zhēng ici : solliciter (赞同un accord)

55 饥不择食 lángtūnhǔyàn avaler, goinfrer

56 服侍 cìhou servir

57 暴虐 /灼灼 hěndú / zhuózhuó cruel / brillant

58 裁 cái faire faire (vêtements), par un tailleur, une couturière : 成衣

59 晌 shǎng moment / midi

Résumé V :

L’hostilité du muet tombe lorsque Nuan lui explique que leur visiteur est un lettré, un hôte de marque.

L’atmosphère de la visite est lourde, cependant : le muet est un être fruste et brutal, la conversation en grande partie par signes, accompagnés des cris inarticulés du muet, et les trois enfants sont décrits comme des petits sauvages, qui se précipitent sur les bonbons apportés par leur visiteur, après avoir quêté du regard l’approbation silencieuse du père.

Nuan sert des raviolis, bien arrosés car le muet est aussi un bon buveur, sur quoi les enfants

s’endorment comme un seul homme sur le kang. Nuan, quant à elle, prend alors du tissu dans une armoire et, de façon inattendue, prend brusquement congé en disant aller jusqu’au bourg voisin, chez le tailleur. Elle part, le chien blanc sur les talons, laissant le narrateur en tête à tête avec le muet.

哑巴与我对面坐着,只需一碰上我的目光,他就咧开嘴笑。三个小男孩儿闹了一阵,侧歪在炕上睡了,他们简直是一起入眠。太阳一出来,马上便感到热,蝉在外面树上聒噪着1。哑巴脱掉褂子,裸出2上身兴旺的肌肉,闻着他身上挥宣布来的野兽般的气味,我惧怕,我无聊。哑巴严密地眨巴着眼3,双手搓着胸膛,搓下一条条鼠屎般的灰泥。他还不时地伸出蜥蜴般4灵敏的舌头舔着厚厚的嘴唇。我感到讨厌、炎热5,心里想起桥下粼粼6的绿水。阳光透过窗户,晒着我穿牛仔裤的腿。我抬腕看表。“噢噢噢!”哑巴喊着,跳下炕,从抽屉里摸出一块电子手表给我看。我看着他脸上祈望的神态,便不诚笃地用小拇指点点我腕上的表,用大拇指点点他的电子表。他公然十分地高兴起来,把电子手表套在右手腕子上,我指指他的左手腕子,他怅惘地7摇摇头。我笑了一下。

“好热的天。本年庄稼长得挺好。秋天收晚田。你养的那头驴很有气量8。三中全会后9,农人日子大大进步了。大哥富起来了,该去买台电视机。..” 

“噢噢,噢噢。”他脸上充溢美好感,用并拢10的手摸摸头皮,比比脖子。我惊惶地想,他要砍掉谁的脑袋吗11?他见我不解,很着急,手颤抖着,“噢噢噢,噢噢噢!”他用手指着自己的右眼,又摸头皮,手顺着头皮往下滑,到脖颈处,停住。我了解了。他要说暖什么事给我知道。我点点头。他摸摸自己两个黑乎乎的乳头,指指孩子,又摸摸肚子。我似懂非懂12,摇摇头。他焦急地蹲起来,调集起13简直悉数的形体向我传达信息,我用力地点着头,我想应该学学哑语。最终,我满脸挂汗向他告辞14,这没有什么难了解的,他脸上显出孩子般的真情来,拍拍我的心,又拍拍自己的心。我爽性大声说:“大哥,咱们是好兄弟!”他三巴掌15打起三个男孩儿来,让他们带着眵目糊给我送别。在门口,我从挎包里摸出那把主动折叠伞送他,并教他使用办法。他如获至珍16,举着伞,弹开,收拢,收拢,弹开,翻来复去地弄。三个男孩儿仰脸看着忽开忽合的伞,腭骨又索索地抖起来17。我戳了18他一下,指指南去的路。“噢噢。”他叫着,摆摆手,飞步跑回家去。他拿出一把拃多长19的刀子,拔出牛角刀鞘20,举到我的面前。刀刃上寒光闪闪,看得出来是件利物。他踮起脚21,拽下门口杨树上一根拇指粗细的树枝来,用刀去削,树枝一节节落在地上。

他把刀子塞到我的挎包里。

走着路,我想,他尽管哑,但仍不失为22一条有性情的男人汉,暖姑嫁给他,想必也不会有太多的苦吃,不能说话,日久天长习气之后,凭仗手势和目光,也能够撤除生理缺点23形成的沟通妨碍。我种种脆弱的主意,或许是犯着杞人忧天24的毛病了。走到桥头间,已不去想她那儿的事,只想跳进河里洗个澡。路上喧嚣无人。上午下那点儿雨,早就蒸腾掉了,地上是一层灰黄的尘土。路两头窸窣着25油亮的高粱叶子,蝗虫在蓬草间26飞动,闪耀着粉红的内翅,翅膀剪动空气,宣布“喀达喀达”的响声。桥下水声泼剌27,白狗蹲在桥头。

白狗见到我便鸣叫起来,龇着一嘴洁白的狗牙28。我预感到工作的奇妙29。白狗站起来,向高粱地里走,一边走,一边一再回头30鸣叫,好像是呼唤着我。脑子里浮现出侦探小说31里的一些情节,横着心跟狗走,并把手伸进挎包里,紧紧地握着哑巴送我的利刃32。分隔茂盛33的高粱钻进去,看到她坐在那儿,小包袱放在身边。她压倒了一边高粱,辟出了一块高间34,四周的高粱壁立着,好像屏风。看我进来,她从包袱里抽出黄布,打开在压倒的高粱上。一大片斑斓35的阴影在她脸上晃动着。白狗趴到一边去,把头伏在平伸的前爪上,“哈达哈达”地喘气。

Résumé VI (a)

Le muet tente alors d’expliquer quelque chose concernant Nuan, mais en vain. Le narrateur prend congé.

Après un échange de cadeaux, serpe à la lame acérée contre parapluie pliant (gadget qui fait la joie du muet comme des enfants), il repart en songeant à la manière dont Nuan s’était habituée à communiquer ainsi par signes avec son mari, tournant la malédiction à laquelle le sort avait semblé la vouer.

En arrivant en vue du pont, cependant, il ne pense plus qu’à descendre au bord de la rivière pour se plonger dans l’eau : il n’y a personne alentour, que le bruissement du sorgho et le cri des cigales… mais, surprise, le chien blanc est là, assis à l’entrée du pont, et semblant l’attendre.

Il part alors à travers le sorgho, le narrateur à ses trousses, tranchant le sorgho avec la serpe que lui a offerte le muet (le récit suggère ici une atmosphère à la Hitchcock).

Et brusquement, il se retrouve face à Nuan qui l’attend, assise au milieu du sorgho… dans une scène qui n’est pas sans rappeler une scène semblable au début du « Sorgho rouge ».

我浑身发紧发冷,牙齿打战,下腭生硬36,嘴巴蠢笨:“你……不是去城镇了吗?怎样跑到这里来……”

“我信了命。”一道亮堂的眼泪在她的腮上汩汩地37流着,她说,“我对白狗说,‘狗呀,狗,你要是懂我的心,就去桥头上给我领来他,他要是能来便是咱们的缘分未断38’,它把你给我领来啦。”“你快回家去吧。”我从挎包里摸出刀,说,“他把刀都给了我。”

“你一走便是十年,深思着这辈子见不着你了。你还没成婚?还没成婚……你也看到他啦,就那样,要亲能把你亲死,要揍能把你揍死……我随意和哪个男人说句话,就招他置疑,也恨不能用绳拴起我来39。闷得我整天和白狗说话,狗呀,自从我瞎了眼40,你就跟着我,你比我老得快。嫁给他第二年,怀了孕,肚子像吹气球相同胀起来,临临产时41,路都走不动了,站着望不到自己的脚尖。一胎生了三个儿子,四斤多重一个,瘦得像一堆猫。要哭一齐哭,要吃一齐吃42,只需两个奶子,轮着班吃43,吃不到就哭。那二年,我差点瘫了44。孩子落了草45,就一向悬着心46,老天,别让他们像他爹,让他们一个个开口说话……他们七八个月时,我心就凉了。那情形不对呀,一个个又呆又聋47..。我祷告着48,天啊,天!别让俺一窝都哑了呀,哪怕有一个响巴,和我作伴说话……究竟仍是全哑巴了……”

我深深地垂下头,嗫嚅着49:“姑……小姑……都怨我,那年,要不是我拉你去打秋千……”“没有你的事,想来想去仍是怨自己。那年,我对你说,蔡队长亲过我的头……要是我胆儿大,硬去部队上找他,他就会收留我,他是诚心诚意地喜欢我。后来就在秋千架上出完事。你上学后给我写信,我成心不回信。我想,我现已破了相,配不上你了50,只叫一人寒,不叫二人单,想想我真傻。你说实话,要是我其时提出要嫁给你,你会要我吗?”

我看着她狂放的脸,感动地说:“必定会要的,必定会。”“好你……你也该了解……怕你讨厌,我装上了假眼。我正在期上……我要个会说话的孩子……你容许了便是救了我了,你不容许便是害死我了。有一千条理由,有一万个托言,你都不要对我说。”……

01 聒噪 guōzào (dial.) faire beaucoup du bruit 蝉 chán cigale

02 裸出 luǒchū dénuder, dévoiler

03 眨巴眼 zhǎba yǎn cligner de l’œil

04 蜥蜴 xīyì lézard

05 讨厌 ěxīn avoir mal au cœur, des nausées 炎热zàorè sec et chaud

06 粼粼 línlín clair, limpide

07 怅惘 míwǎng perplexe

08 很有气量 hěnyǒu qìdù avoir beaucoup d’allure

09 (十一届)三中全会 sānzhōng quánhuì la 3ème assemblée plénière (du 11ème Comité central)

Séance historique du 18 au 22 décembre 1978 qui fut le prologue de la « politique de réforme et d’ouverture » (敞开了改革开放的前奏)

10 并拢 bìnglǒng joindre, croiser

11 砍掉 kǎndiào trancher

12 似懂非懂 sìdǒngfēidǒng ne pas comprendre totalement, n’avoir qu’une vague idée

13 调集 diàodòng déployer, mobiliser

14 告辞 gàocí prendre congé

15 巴掌 bāzhang paume de la main

16 如获至珍 rúhuòzhìbǎo comme s’il avait reçu un trésor, gagné le gros lot
 

 

Photo de Deng Xiaoping lors de l’assemblée

17 腭骨 è gǔ os du palais – ici mâchoire 索索地suǒsuǒde tremblant

18 戳 chuō piquer (du bout de quelque chose), pousser du coude, …

19 拃多长 zhǎduōcháng de plus d’un empan de long

20 刀鞘 dāoqiào fourreau, gaine

21 踮起脚 diǎnqǐjiǎo se mettre sur la pointe des pieds

22 仍不失为 réngbùshīwéi pouvoir quand même (après tout) être considéré comme

23 撤除 chāichú démolir, faire tomber 生理缺点shēnglǐ quēxiàn handicap physique

24 杞人忧天 qǐrényōutiān comme l’homme de Qi qui craignait que le ciel lui tombe sur la tête : avoir des craintes infondées, des peurs imaginaires.

25 窸窣 xīsū bruisser

26 蝗虫 huángchóng sauterelle 蓬草péngcǎo touffes d’herbes

27 泼剌 pōlà bruit du poisson qui saute hors de l’eau, splash…

28 龇牙 zīyá montrer, découvrir les dents

29 奇妙 wēimiào subtil, délicat

30 一再 pínpín souvent

31 侦探小说 zhēntàn xiǎoshuō roman policier

32 利刃 lìrèn lame acérée

33 茂盛 màomì dense

34 辟出 pìchū ouvrir, dégager (espace…)

35 斑斓 bānbó multicolore, bariolé

36 牙齿打战 yáchǐ dǎzhàn claquer des dents

下腭生硬 xià’è jiāngyìng avoir la mâchoire inférieure crispée, contractée

37 汩汩 gǔgǔ bruit de l’eau qui jaillit d’une source, dévale une montagne

38 缘分 yuánfèn liens/affinités prédestiné(e)s 未断 wèiduàn pas encore rompu

39 恨不能 hènbude brûler d’envie de 拴shuān attacher

40 自从 zìcóng depuis que 瞎眼xiāyǎn aveugle – ici : perdre un œil

41 临产 fēnmiǎn accoucher

42 一齐 yìqí tous ensemble, en même temps

43 轮班 lúnbān à tour de rôle

44 瘫 tān être paralysé

45 落草 luòcǎo se faire brigand / être exclu

46 悬心 xuánxīn être angoissé

47 呆 dāi idiot, demeuré / d’où rester coi : muet 聋 lóng sourd

48 祷告 dǎogào prier

49 嗫嚅 nièrú parler en hésitant

50 配不上 pèibúshàng ne pas être assorti

Traduction VI (b)

[le sorgho forme comme un mur autour d’eux ; le chien blanc, mission accomplie, va se coucher un peu plus loin]

Je sentis tout mon corps à la fois tendu et glacé, j’avais les dents qui claquaient et les mâchoires contractées, et demandai, idiotement : « Tu… tu ne devais pas aller au bourg ? Comment se fait-il que tu sois là ?.... »

« J’ai fait confiance au destin » dit-elle, tandis qu’une larme brillante roulait sur sa joue, « j’ai dit au chien blanc : ‘chien blanc, mon chien, si tu comprends ce que je veux, va jusqu’au pont et ramène-le moi, s’il peut venir, c’est que les liens qui nous attachent ne sont pas encore rompus’, et il t’a ramené. » - « Il faut que tu rentres vite chez toi. » dis-je en sortant la serpe de mon sac et ajoutant « C’est lui qui me l’a donnée. »

« Depuis que tu es parti, il y a dix ans, je ne t’ai plus revu. Tu n’es pas encore marié ? Pas encore… Tu

l’as vu, tu as vu comme il est, s’il voulait t’embrasser il t’étoufferait, s’il voulait te battre, il te tuerait… Je ne peux parler avec aucun homme sans susciter sa suspicion, il m’attacherait volontiers avec une corde. J’étouffe, et toute la journée je parle au chien blanc (1), mon chien, depuis que j’ai perdu mon

œil, tu m’as constamment accompagnée, mais tu as vieilli beaucoup plus vite. Deux ans après mon mariage, je suis tombée enceinte, mon ventre ressemblait à un ballon qu’on aurait trop gonflé ; à

l’approche de l’accouchement, je ne pouvais plus sortir dans la rue, et, quand j’étais debout, je ne pouvais plus voir le bout de mes pieds. J’ai eu des triplets, maigres comme une portée de petits chats, ils pesaient chacun dans les deux kilos. Ils pleuraient tous les trois ensemble, voulaient manger au même moment, mais je n’avais que deux seins, ils devaient téter à tour de rôle, et ils pleuraient en attendant. J’étais comme paralysée. En les voyant grandir, je vivais dans l’angoisse en pensant, dieu du ciel, faites qu’ils ne soient pas comme leur père, faites qu’ils parlent, tous les trois … Lorsqu’ils eurent sept ou huit mois, cependant, je perdis tout espoir. Je voyais bien que ça n’allait pas, qu’ils étaient tous les trois sans réaction, qu’ils n’entendaient rien... J’implorai le ciel, ciel ! faites que je n’aie pas toute une maisonnée de muets, qu’il y en ait un au moins qui ne le soit pas, avec lequel je puisse parler… mais finalement, ils sont bien tous muets…

Tête basse, je bégayai : « Nuan… petite soeur… tu dois m’en vouloir ; cette année-là, si je ne t’avais pas entraînée à aller faire de la balançoire… » - « Ce n’est pas ta faute, c’est à moi-même que j’en veux. Cette année-là, tu te rappelles, je t’ai dit que le capitaine Cai m’avait posé un baiser sur les cheveux… Si j’avais eu du courage, je serais allée le chercher dans son régiment, il m’aurait peut-être demandé de rester, il avait vraiment un penchant pour moi. Ensuite, évidemment, il y a eu l’accident de la balançoire. Quand tu es parti à l’université, tu m’as écrit, je ne t’ai pas répondu, exprès. Je pensais que, maintenant que j’étais défigurée, je n’étais plus quelqu’un pour toi, qu’il suffisait d’une vie de gâchée, j’étais vraiment stupide. Maintenant, dis-moi franchement, si je t’avais alors demandé

de m’épouser, tu aurais accepté ? »

En voyant son visage exalté, je ressentis une vive émotion : « Oui, j’aurais accepté, c’est sûr. » -

« C’est bien, mais il faut que tu comprennes… j’ai peur de te répugner, c’est pour cela que j’ai mis cet oeil artificiel. En ce moment, je suis en période de fécondité…. Je veux avoir un enfant capable de parler… Si tu acceptes, je suis sauvée, mais si tu n’acceptes pas, tu signes mon arrêt de mort. Tu as sans doute mille raisons, dix mille prétextes, ne me les dis pas. »….

(1) On retrouve là un élément autobiographique, remontant à l’enfance solitaire de Mo Yan.

一九八五年四月

Avril 1985

莫言《白狗秋千架》

Mo Yan “Le chien blanc et la balançoire”

par Brigitte Duzan, 17 juin 2010

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莫言《白狗秋千架》法文版:http://www.021lunwen.com/fy/fzl/201503/43136.html
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